Il est indispensable de définir les termes liés au métavers, qui vont être développés dans la recherche, lesquels sont manipulés de manières trop diverses pour que l'on puisse en sous-entendre la signification, et de convenir du sens qu’on leur attribue ; encore davantage lorsque leur signification est très discutée, et que ces concepts évoluent de manière incessante. De façon générale, on choisira plutôt de reconnaître un sens général et inclusif, d’abord de manière à ne pas exclure des champs qui auraient pu prouver leur intérêt, mais aussi parce que, dans les cas qui suivent, de telles définitions semblent mieux adaptées et sauront être justifiées pendant cette recherche.
Le mot métavers est apparu pour la première fois dans le roman Snow Crash (Le Samouraï Virtuel), de Neal Stephenson en 1992, pour reprendre un concept qui existait déjà dans la science-fiction depuis quelques dizaines d’années. Des jeux vidéos sont apparus rapidement, en réalisant un travail précurseur dans la création d’un métavers, dès 1985, avec Habitat, qui représente un des premiers jeux vidéos multijoueur à grande échelle. D’autres éditeurs ont contribué à faire évoluer cette technologie, mais le plus important est probablement Second Life. Ce monde virtuel, en accès libre et gratuit à partir de 2003, permet aux utilisateurs d’incarner un avatar et de concevoir le monde qui les entoure (infrastructures, vêtements, objets, animations, sons...), en acquérant des parcelles dans le jeu, et en utilisant la monnaie virtuelle mise à disposition par la société qui l’a créé (Linden Labs). Dans l’idée générale, un métavers permet aux utilisateurs de travailler, interagir, échanger, voyager et accéder à du contenu éducatif dans un espace en trois dimensions, éventuellement via une interface de réalité virtuelle ou augmentée. Cet espace nécessite l’utilisation de cryptomonnaies et de blockchains, afin de témoigner de l’authenticité et de l’appartenance des objets qui le composent, et de protéger les échanges entre les utilisateurs.
Ainsi, et étant donné le lien qui s’est formé entre Web3 et métavers, on peut définir ce dernier comme une plateforme décentralisée construite sur la blockchain, qui incorpore des objets et propriétés virtuels, et dans laquelle les utilisateurs incarnent une identité virtuelle, généralement à travers un avatar. On définit souvent un métavers comme un espace en trois dimensions. Pourtant, certains ont prouvé leur capacité à dépasser cette définition, qui ne doit plus être aussi restrictive ; il faudra donc admettre la possible qualification d’un espace 2D comme un métavers, même si la grande majorité de ces environnements est en 3D, et c’est principalement sur ces derniers que l’étude portera.
La catégorisation d’un espace comme métavers est fréquemment faite publiquement et implique dans la majorité des cas un aspect commercial qui ne peut pas être négligé. Parfois, elle peut tout à fait émerger d’un glissement à partir d’une catégorie plus classique, comme le jeu vidéo, le temps d’un événement ou définitivement. Mais, cette distinction doit forcer à redéfinir la notion de métavers, d’autant plus qu’une grande partie des espaces classés comme tel ne sont pas directement établis sur la blockchain, en revanche ils interagissent avec ce protocole, ce qui est radicalement différent puisque ces plateformes ne sont ainsi pas entièrement décentralisées. Cette première définition donnée, très restrictive, permet certainement de s’assurer qu’un environnement est un métavers. Cependant, elle ne correspond pas à la réalité, dans l’esprit des utilisateurs et dans les applications que l'on en trouve.
Dans ce cas, il faut emprunter des éléments de définition au concept de monde virtuel, qui est très proche de celui de métavers. D’ailleurs, on peut tout à fait établir qu’un métavers est un monde virtuel. Ce dernier terme est défini de la manière suivante :
“Les mondes virtuels sont des environnements persistants et partagés (en ligne), générés par ordinateur, dans lesquels des utilisateurs physiquement éloignés interagissent en temps réel dans l’objectif de travailler, ou de jouer. Il s’agit d’un sous-ensemble des applications de réalité virtuelle, un terme plus générique qui suggère une simulation générée par ordinateur d’environnements et d’objets en trois dimensions, qui permet aux utilisateurs des interactions en apparence réelles, directes et physiques”.
Cette définition correspond tout à fait aux espaces que l'on pourra étudier et les caractéristiques établies au début (interaction avec la blockchain, identité virtuelle et avatar) assurent une classification plus certaine. Les applications récentes de ce concept intègrent systématiquement les NFTs et les cryptomonnaies comme partie déterminante de l’environnement. En réalité, si l’on identifie un espace virtuel comme métavers de manière plus ou moins certaine en fonction de ces critères, la classification est de plus en plus tolérante.
En effet, la distinction entre jeu vidéo et métavers est toujours plus étroite, et certains jeux vidéos peuvent tout à fait être considérés comme des métavers, et inversement. Le jeu vidéo est défini comme un “jeu électronique doté d’une interface utilisateur permettant une interaction humaine ludique en générant un retour visuel” qui assure à un utilisateur (ou plusieurs) “d’agir sur le jeu et de percevoir les conséquences de ses actes sur un environnement virtuel”. Cette définition présente des caractéristiques que l'on retrouve dans la plupart des métavers. Inversement, certains jeux vidéos, en particulier les MMORPG, présentent les mêmes caractères que les mondes virtuels que l’on a définis plus tôt. Ils requièrent une implication considérable de la part des joueurs, encouragent l’interaction au sein de communautés, facilitent l’incorporation entre le joueur et l’avatar ou l’identité virtuelle, disposent d’un environnement vaste et persistant qui évolue au gré des actions des joueurs... En réalité, ces jeux vidéos peuvent tout à fait être considérés comme des métavers. Par exemple, le MMORPG Dofus, édité par la société Ankama, est sorti en 2004 et a connu un franc succès à partir de quelques années plus tard, et pendant les années 2010. La société annonçait 15 millions de joueurs en 2009, majoritairement francophones, certains découvrant le MMORPG à cette occasion. Surtout, il s’agissait pour énormément d’utilisateurs du premier réseau social d’une telle envergure : dans certains espaces, des joueurs discutent et échangent en permanence, mais également au sein des guildes, des canaux dédiés au commerce, au combat... Une telle extension de la réalité permettait, et assure encore, aux internautes de se retrouver de nouveau virtuellement, dans un univers persistant, aux règles particulières, en mêlant des communautés globales. Le jeu est sorti en 2004, la même année que Facebook, deux ans avant Twitter, et même un mois avant le jeu vidéo World of Warcraft à l’influence internationale, et il était programmé en Flash, ce qui le rendait extrêmement accessible, même sur des ordinateurs peu performants incapables de faire tourner des jeux vidéos en 3D. Ainsi, ce jeu vidéo multijoueur, partagé entre monde virtuel et réseau social, correspond effectivement à l’idée d’un métavers global et persistant.
De tels espaces donnent naissance à des utilisateurs investis, incarnés par des avatars et une identité virtuelle, de plus en plus complexe et consistante. En effet, les jeunes de la Génération Z passent de plus en plus de temps dans des espaces virtuels et développent une connexion toujours plus conséquente avec leur identité virtuelle. Autour de la moitié de cette population ressens une plus grande liberté dans les jeux vidéos et estime cette identité virtuelle comme une réelle expression de sa personnalité. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce lien particulier, notamment une grande réceptivité aux systèmes de microtransactions : achats d’avatars et de cosmétiques sur les jeux vidéos, jeux mobiles, abonnements récurrents au streaming, popularité de marques qui s’établissent “dans” le métavers, par exemple, Nike ou Adidas, dont l’audience correspond particulièrement à cette génération... Ce lien en est renforcé et en permanence rétabli.
Une distinction doit donc nécessairement être réalisée, puisque ces espaces, qui pour les marques représentent un nouveau terrain de communication, peuvent laisser penser que le métavers existe finalement déjà. Il correspondrait à la manière dont ces nouvelles générations interagissent, pensent, agissent, et dépensent leur argent, dans des événements virtuels, des jeux vidéos et autres événements immersifs. En réalité, si l’on considère le métavers comme un monde, ou un ensemble de mondes virtuels interopérables et persistants, qui devraient donner naissance à de nouvelles interactions, expériences, et de nouveaux flux économiques, ces espaces actuels correspondent plutôt à de divers micro-métavers. Ceux-là prennent effectivement la forme de mondes virtuels privés, comme avec Fortnite, mais le gaming ne représente pas la seule branche du métavers, bien qu’elle en soit pour l’instant la plus attractive. Surtout, elle représente un excellent moyen d’étudier l’évolution du métavers, puisqu’elle en est de toute évidence la partie la plus développée.
Ainsi, il faudra accepter les conceptions populaires du métavers dans sa définition, car inévitablement les formes qu’il prend, et qu’il prendra, sont intimement liées à la manière dont le public le perçoit. La confusion entre monde virtuel, jeu vidéo et métavers est de moins en moins erronée, et certains groupes extrêmement populaires, probablement parmi les plus proches de délivrer un métavers global, accessible, persistant, mais aussi approuvé, prennent très justement le modèle des MMORPG pour leur conception. Le métavers The Sandbox, probablement l’un des plus populaires et les plus aboutis en début 2022, est produit par une filiale d’Animoca Brands, dont l’activité principale se trouve originellement dans le jeu vidéo. C’est cette même société qui a investi dans le métavers évoqué dans la note précédente, Otherside, aux côtés du géant Andreessen Horowitz, dont le poids ne peut qu’encore plus inciter les créateurs à exploiter les standards du jeu vidéo pour produire un monde virtuel à succès.
Si cet espace, intimement lié aux NFTs, est pour l’instant destiné majoritairement à un public aisé ou riche, il prendra assurément des formes moins exclusives et plus accessibles prochainement. D’ailleurs, le lien entre utilisateur et monde virtuel a été largement renforcé par la crise sanitaire entre 2020 et 2022, le succès des événements virtuels (concerts ou festivals) sur des serveurs de jeux en est témoin. Certains terrains sur les principaux métavers proposent des retransmissions de conférences en direct, et d’autres événements quotidiens qui se déplacent progressivement, entièrement ou de manière hybride, vers le virtuel. Aussi, il faut noter qu’un métavers n’a pas obligatoirement un aspect commercial aussi important que ce que l'on remarque chez les plus populaires, même si cet aspect est presque systématiquement le plus en avant, principalement à cause du besoin d’utilité recherché. On peut admettre un environnement virtuel, qui possède les caractéristiques d’un métavers, mais qui propose “simplement” une expérience sensible, sensorielle, et/ou sociale ; par exemple, un lieu d’exposition accompagné d’un travail visuel et sonore immersif, sans que son accès soit restreint. C’est cette approche qu’il faudra prendre avec l’espace virtuel qui accompagne ce mémoire, qui se veut être un exemple d’intégration sonore immersive, sans prendre les caractéristiques commerciales d’un métavers, qui n’auraient que peu d’intérêt dans ce cadre.